Ballet le plus célèbre de Maurice Béjart, Boléro a gardé intacte sa puissance émotionnelle et ses qualités hypnothiques, plus de cinquante ans après sa création (1962).
La partition entêtante de Maurice Ravel avait été écrite à l’origine à la demande de la danseuse Ida Rubinstein. La fameuse table se trouvait déjà dans sa version, chorégraphiée par Bronislava Nijinska. Dans celle de Béjart, l’interprète principal, « La mélodie », perchée également sur une table ronde, fait véritablement corps avec la musique. Une main émerge d’abord de l’obscurité, puis un bras, un corps… Les mouvements, très sensuels, se déploient lentement, jusqu’au crescendo final, gagnant au fur et à mesure en intensité et plongeant le spectateur dans une sorte de transe.
Difficile à mémoriser, le Boléro est un ballet extraordinairement complexe dans sa simplicité. La danse y est mise à nu, réduite à ses éléments fondamentaux, et il faut des personnalités uniques pour l’interpréter. Chaque danseur s’approprie la chorégraphie, parfois en prenant de grandes libertés (comme Maïa Plissestkaïa). Dansé pour la première fois par Duška Sifnios, le ballet a depuis été interprété indifféremment par des femmes et des hommes. Outre le légendaire Jorge Donn, il semble que les danseurs qui ont le plus sublimé le rôle soient ceux qui ont eu la possibilité de le travailler directement avec Maurice Béjart, et qui ont effectué leur carrière au sein de sa compagnie. Citons notamment les deux derniers danseurs du Béjart Ballet Lausanne à avoir étudié directement le rôle avec le maître, les merveilleux Julien Favreau et Elisabet Ros. A 55 ans, la danseuse apporte encore au rôle toute la majesté et la sensualité d’une danseuse exceptionnelle, au faîte de sa maturité artistique.
Le Boléro est un ballet qui prend immanquablement aux tripes, qui emporte même les plus réfractaires. Par la musique elle-même, tout d’abord. Envoûtante dans sa répétitivité, dans sa montée graduelle en puissance… par l’épreuve athlétique qu’il représente aussi.
Il faut voir un ballet en direct pour l’apprécier dans toute sa plénitude, d’autant plus dans ce cas précis que les captations filmées ne permettent pas d’apprécier l’importance du groupe des danseurs assemblés autour de la table. Et pourtant, le simple geste de se caresser le visage et le buste et de mettre la main au cœur, effectué simultanément par cette rangée d’hommes superbes, fait à chaque fois courir un frisson dans l’échine. Les danseurs, comme une meute aux aguets, paraissent d’abord impassibles, puis se mettent petit à petit en mouvement, et sont pour une grande part dans la force au ballet. Le soliste, au centre, apparait comme une sorte de nouvel Elu(e), tour à tour dominant et dévoré par le groupe.
S’il ne fallait retenir qu’un ballet, ce serait celui-là. Tout y est dit, avec une étonnante économie de langage. C’est le ballet absolu, la danse à l’état pur.